Alors qu'elle veillait à ce que Luther se rétablisse, Rowena ne fit pas attention à Artaban ou encore à Rhaego. Elle se doutait que ce dernier ne la laisserait jamais passer devant dans leur petite compétition, et ils devaient toujours être à égalité. Le prince les rejoignit afin de s'enquérir de l'état du narnien lui aussi. Le faune semblait vraiment honteux, pourtant il n'avait pas démérité, il s'était battu, avait tenté quelque chose. Alors certes, son attaque n'avait pas réussie, mais il avait essayé, et ça avait eu le mérite de distraire le cyclope qu'elle avait ensuite pu blesser.
Soudain, alors qu'elle avait ramassé son épée posée au sol et s'était retournée pour attaquer à nouveau et peut-être finir le monstre, elle aperçut une jambe se rapprocher dangereusement d'elle et n'eut même pas le temps de dire Tash qu'elle se retrouvait déjà par terre, haletant sous le choc et se retenant de hurler de douleur. Elle avait l'impression que l'une de ses côtes venait de se briser sous le coup de pied du cyclope.

Rowena avait envie de lancer tous les jurons possibles et imaginables, mais la vision de la créature se rapprochant d'elle l'en empêcha. Terrifiée, elle ferma les yeux, sentant sa mort venir. Mais rien ne vint, le cyclope recula et Luther aida Rowena à se lever avant de l'emmener plus loin, à l'abri. Sa tête tournait, mais elle le remercia intérieurement de lui avoir sauver la vie. Toutefois le fait de hurler aux deux calormènes qu'il leur laissait le monstre lui fit mal au crâne. Il l'adossa à un rocher et commença à appuyer sur son ventre, son côté, afin de voir où elle avait mal. Elle dû se mordre la lèvre inférieure jusqu'au sang pour ne pas crier tant elle avait mal. Peut-être était-elle cassée ? Quelques larmes coulèrent sur ses joues sans qu'elle ne puisse les retenir. Elle ne voulait même pas pleurer, elles coulaient toutes seules. Lentement elle reprit son souffle, toujours secouée par ce qui venait de lui arriver. Si elle ne parla pas immédiatement, elle retrouva son esprit d'ermite et voulut lever le bras pour demander à Luther de partir. Elle supportait mal à vrai dire d'afficher sa faiblesse à cet instant. Elle avait râlé après le faune et avait fait encore pire que lui en tournant le dos aussi longtemps à leur ennemi. Mais ceci, ils ne l'entendraient sûrement jamais.
Elle essaya donc de lever le bras jusqu'à ce que sa tentative se solde par une grimace. Elle attendit donc un moment, et fixa Luther sans grande émotion, arborant un sourire qu'elle voulait rassurant. Ca ira pour moi t'en fais pas. Je peux me guérir toute seule. D'toute façon les autres voudraient pas me soigner.

Elle laissa échapper un petit cri aigu de douleur en touchant l'endroit où elle avait reçu le coup et se laissa glisser au sol, la tête posée sur son bras dépliée tandis que ses yeux qui se fermaient tous seuls observaient le faune, puisqu'elle ne pouvait voir personne d'autre. Sa main libre s'approcha du narnien en quête de soutien. Elle avait horriblement mal à cet instant et voulait juste savoir que quelqu'un, pour une fois, restait près d'elle, veillait sur elle, pour elle, et pas pour obtenir quelque chose. Rowena sécha ses quelques larmes et murmura un petit merci à l'attention du faune, assez fort pour qu'il l'ait entendu. Elle se soignerait après, elle ne pouvait pas bouger et n'avait peut-être même pas assez de voix et de clarté dans son esprit pour demander ses ingrédients et fioles à Luther. Elle attendrait, elle n'était pas sur le point de mourir après tout.
Dire qu'au début de cette quête, elle aurait viré toute aide venue d'un des trois autres membres de la guilde. Elle se serait refermée sur elle-même, comme d'habitude, et elle aurait souffert seule. Comme d'habitude. Alors que là, en s'ouvrant légèrement au monde elle se sentait accompagnée, et ça réchauffait son cœur froid. Elle ne remercierait sans doute jamais assez Luther pour être resté auprès de cette calormène distante et agressive.

Rowena resta sans bouger un long moment. Elle avait encore horriblement mal mais elle sentait que ses côtes n'étaient pas cassées. En tout cas pas pour l'instant. Elle écoutait à peine les bruits d'épée qui provenaient de la zone de combat. Elle pria simplement les dieux pour qu'ils leur accordent la victoire face à ce cyclope repoussant.
Puis d'un coup tout sembla s'arrêter. Elle ne savait trop quoi en penser tant son esprit divaguait. La jeune femme ne bougea pas davantage et se contenta de lâcher un petit gémissent lorsque Luther la prit dans ses bras pour l'emmener vers le reste du groupe. Fermant les yeux, elle tenta de retrouver dans sa mémoire quel type de plante elle allait bien pouvoir utiliser pour lui redonner des forces.
Le faune la posa contre un rocher afin qu'elle ne tombe pas par terre comme la vulgaire bouse d'une vache des en contrebas. Elle regarda à peine Rhaego mais elle put facilement remarquer son visage asymétrique en raison de la disparition tragique d'une moitié de sa moustache. Pauvre calormène. Elle savait à quel point cet attribut leur était cher. La guérisseuse fouilla dans son sac et en ressortit une poignée de tiges vertes qu'elle se mit à mâchouiller du mieux qu'elle pouvait, grimaçant chaque fois qu'elle avait une douleur soudaine au crâne.

La guilde se reposa un petit instant, assez pour que la calormène reprenne ses esprits et retrouve un certain équilibre, rien que dans sa vision : le paysage ne tournait plus et n'était plus fou, elle voyait plus clair et pouvait désormais contempler non sans un sourire en quoi la mine dépitée du soldat. Il allait devoir faire son deuil rapidement et couper l'autre moitié de sa fière moustache s'il ne voulait pas passer pour le roi des comiques. Quoi que, peut-être les ghouls seraient hilares devant pareil ridicule.
Rapidement, les quatre compagnons durent se remettre en route. Le ciel se couvrait de nuages sombres et il était évident que l'orage allait s'abattre sur leurs têtes. Luther en tête, le groupe traversa donc le pont. Rowena marchait prudemment, un peu trop lentement à son goût mais elle se voyait tellement tomber dans le vide qu'elle préférait éviter de prendre ce risque.
Ils avancèrent encore et encore, à travers un chemin de plus en plus impraticable tant il s'amincissait. Bien qu'elle ne lui accordait pas la moindre attention, la calormène entendait le tonnerre gronder dans des bruits sourds qu'elle n'essayait pas d'analyser. Ca aurait aussi bien pu être le grognement d'un ours qu'elle ne s'en serait pas doutée. Elle était à des milliers de kilomètres de s'inquiéter de cette météo, plus concentrée sur ses jambes et ses pieds que sur le ciel qui s'assombrissait à vue d'œil. Il se mit à pleuvoir, rendant la route plus glissante qu'elle ne l'était déjà.
Finalement, ils trouvèrent une grotte et y entrèrent un peu afin de se protéger du temps. Rowena se laissa tomber au sol en faisant le moins de bruit possible. Comme le disait le narnien, ils devaient rester prudents : ils n'étaient pas en un territoire chaleureux, bien au contraire. Tout ici était hostile et puait le danger à plein nez. Ecoutant son conseil, la sorcière sortit le petit papillon confié par la nymphe et le regarda agiter ses ailes au bout de son doigt. Elle lui intima doucement de s'envoler et la créature s'en alla immédiatement, s'enfonçant dans cette grotte sombre qui n'inspirait rien de bon.

Il vola sur plusieurs mètres et déboucha dans une sorte de salle plus grande encore que le petit morceau de grotte où étaient réfugiés les Intrépides. Le papillon survola un groupe de gobelins affamés qui avaient allumé un petit feu pour faire rôtir ce qu'ils avaient attrapé en guise de dîner. Ils étaient répugnants et bruyants, mais au moins étaient-ils bêtes comme leurs pieds. Aussi ne prêtaient-ils pas une grande attention à ce qui pouvait venir et passer sous leur nez. Le papillon put donc faire son petit chemin, voyant très clairement deux escaliers, surveillés également par les gobelins. Ils montaient dans la tour, tous les deux, mais il semblait que les chemins qu'ils prenaient étaient différents, pour un même but. L'insecte repassa au-dessus de la vingtaine de gobelins et retourna vers Rowena. On ne saurait dire par quelle magie, mais le papillon s'arrangea pour que la sorcière entende le récit de sa petite aventure. Plus loin. Une vingtaine de gobelins. Ils mangent. Ils font pas très attention mais ils sont beaucoup trop. Il y a... deux escaliers. C'est pas le même chemin mais ils montent tous les deux dans la tour. Sentant sa gorge devenir de plus en plus sèche, elle attrapa sa gourde d'eau et but plusieurs gorgées avant de reprendre. Faut faire diversion, sinon on est morts. Elle se leva avec prudence, s'appuyant contre le mur et regarda ses camarades en quête de leur approbation. Ou du moins fit-elle mine de l'attendre. Elle leur demanda juste de s'écarter afin que les créatures ne les repèrent pas quand elles passeraient et marcha dans l'obscurité à la recherche de ses adversaires, épée sortie bien sûr. Lorsqu'elle les vit, elle poussa un cri strident et attendit d'être vue et prise en chasse pour courir vers l'extérieur, priant pour ne pas être attrapée.

Courant toujours, elle attira les gobelins jusque dans les chemins étroits qu'ils avaient emprunté en arrivant. Elle n'aurait pu dire si sa petite stratégie allait marcher, mais tentant le tout pour le tout, elle se cacha entre des rochers et attendit les gobelins qui venaient juste derrière. Maladroits et stupides, ils se précipitèrent dans les escaliers glissants et tombèrent les uns après les autres. Elle n'avait pas compté leur nombre, mais ils étaient au moins dix à avoir abandonné la grotte pour la poursuivre. Ca faisait dix de moins à tuer pour Rhaego, Luther et Artaban.
Rowena sortit de sa cachette et retourna vers la grotte aussi vite qu'elle le pouvait, et que la pluie le lui permettait. C'est les cheveux trempés qu'elle revint vers ses compagnons qui étaient déjà en train de se battre contre le reste du groupe.